Ruben BONI

DJ Arafat, victime des réseaux sociaux?

Le 12 août 2019, la Côte d’Ivoire apprenait incrédule la mort de sa star du coupé-décalé. Ange Didier Houon, dit « DJ Arafat », tirait sa révérence à la suite d’un tragique accident de moto. Dans la foulée d’un hommage national, des actes de vandalisme et de profanation de la tombe de l’artiste seront commis.

Nous proposons une analyse basée sur le rôle qu’auraient pu jouer les réseaux sociaux dans de tels actes d’incivisme.

Reportage de France 24 sur la profanation de la tombe de DJ Arafat.

DJ Arafat, idole d’une jeunesse ouest-africaine connectée

DJ Arafat était sans contestation un influenceur. En effet, le surnommé Beerus Sama (dieu de la destruction) comptait plusieurs millions d’abonnés sur ses différents comptes sur les réseaux sociaux. Outre une influence musicale, son influence de caractère sur sa communauté de fans en ligne est encore aujourd’hui éloquente. Depuis l’avènement du coupé-décalé en 2003 jusqu’à ce jour, DJ Arafat était l’artiste ivoirien qui avait sans doute le mieux saisit l’importance, la puissance et les mécanismes de fonctionnement des réseaux sociaux, pour en tirer profit.

Comme Donald Trump, il savait que la stratégie du buzz pouvait l’aider à asseoir sa carrière. Et ainsi, à coups de déclarations outrancières, de polémiques et de diverses frasques, savamment mises en scène, sa cote de popularité s’étendait davantage. Par cette manière de faire, DJ Arafat avait réussi un exploit jamais réalisé : celui d’imposer son style musical et sa manière d’être hors des frontières ivoiriennes.

Même censuré par certaines chaînes de télé, DJ Arafat pouvait dignement organiser sa résistance en ligne. Car sa communauté de fans lui apportait tout le soutien nécessaire. En retour, dans ses chansons ou vidéos publiées sur les réseaux sociaux, il s’imposait en éducateur de cette jeunesse. Une jeunesse confrontée aux défis de l’emploi et décidée à s’en sortir par tous les moyens. Il les désignait d’ailleurs comme étant « les grouilleurs », « les guerriers », « les bramôgôs », « les gens du ghetto », « les nouchis », « les gens de la rue », etc.

Ses fans, ses fidèles constituaient « son armée« . Une armée de « chinois », référence faite à leur grand nombre. A eux, en tant que « Zeus » ou « Sao Tao le dictateur« , DJ Arafat donnait ses ordres de mobilisation, en faveur d’un spectacle ou non.

La « chine » de DJ Arafat et/ou « l’armée de fanatiques »

DJ Arafat était, il faut le reconnaître, un génie de la communication digitale. Il savait capter l’attention des internautes et établir une relation presque fusionnelle avec ses fans. Cependant, a pu lui échapper l’impact psychologique de ses activités de buzz sur ceux-ci. Ses admirateurs les moins éduqués ont donc pu mal comprendre et prendre au premier degré ses agissements en ligne. La théâtralisation d’un personnage désinvolte et presqu’au-dessus des lois est apparue comme une philosophie de vie.

Ainsi, on se souvient des menaces de certains de ses fans de commettre des actes de vandalisme à l’encontre d’une chaîne musicale de télévision. Raison évoquée? L’interdiction  de passage des clips de leur idole à la suite de propos discourtois tenus. L’intervention en direct de DJ Arafat, avait ramené les choses dans l’ordre en calmant les ardeurs. Plusieurs autres artistes, et même des anonymes, avaient de la même manière subi courroux, injures et menaces de ses fans. Ces fanatiques incontrôlés n’hésitaient plus à montrer les muscles pour défendre leur idole.

Du décès de l’artiste à son inhumation, tous redoutaient en fait ces gens, à l’amour débordant pour l’artiste. Ainsi, le schéma mental de violence ou de plan commun de destruction semblait programmé et quasi inévitable. Des établissements bancaires et plusieurs autres institutions prenaient des dispositions sécuritaires, allant jusqu’à une fermeture temporaire.

Malgré un dispositif sécuritaire impressionnant de plus de 6 500 policiers et des messages de sensibilisation, le pire est arrivé. Émeute de la colère, vols, pillage et même profanation de la tombe de leur « Zeus »…

En condamnation à de telles agissements, plusieurs des amis et fans de l’artiste décédé sont monté aussi au créneau. Ils ont distingué en fait les vrais « chinois » des « fanatiques ». Ces derniers étant présentés comme des délinquants.

La gouvernance des réseaux sociaux, un enjeu de stabilité sociale

Le comportement incivique et immoral de ces jeunes fanatisés en ligne est à condamner, mais il est aussi révélateur d’une insuffisance d’action concernant la gouvernance des réseaux sociaux, en Côte d’Ivoire en particulier.

Il est vrai qu’existe une loi qui réprime les infractions commises en ligne. Et que des séances d’information et de formation avec les acteurs influents du web ont été organisées avec le procureur de la République. Cependant, force est de reconnaître que la majeure partie des actes de répressions en ligne avaient un intérêt fortement politique et quelque fois économique. Faisant ainsi fi des autres domaines sociaux concourant à la stabilité et à la bonne santé mentale des populations.

Communiqué du Procureur suite à la profanation de la tombe de DJ Arafat.

Tous les faits comportant des risques de manipulation et d’adoption de postures amorales, extrémistes et violentes contraires aux lois de la République devraient appeler l’attention des organes spécialisés de l’Etat. Cela afin de prévenir tous risques de trouble à l’ordre public.

Bien sûr, le contrôle de l’État ne doit pas être mené de manière arbitraire au détriment des libertés fondamentales des citoyens. Il doit plutôt respecter la liberté d’expression, de religion, d’information et plus encore des citoyens. Son action devrait surtout s’inscrire dans un cadre dénué de tout esprit de favoritisme, de clan politique et d’affinités personnelles. Que l’on soit politicien, artiste ou simple citoyen, la loi devrait s’appliquer en ligne comme de manière physique à tous et de la même manière dans l’intérêt du corps social.

L’Etat doit aussi éduquer à la bonne utilisation des réseaux sociaux

Aujourd’hui, les réseaux sociaux tout comme la télévision, la radio ou la presse écrite participent à l’éducation des masses. Il est donc normal que l’État y ait un droit de regard afin de garantir le bien-être de ses administrés.

Mais l’Etat ne doit pas qu’agir seulement en tant que censeur. Il doit aussi, à l’instar des acteurs de la société civile ivoirienne, créer les conditions préalables à l’éducation de sa population. C’est pourquoi, en Côte d’Ivoire notamment, nous recommandons l’insertion dans nos programmes scolaires d’un module spécialement dédié à l’éducation aux médias et à l’information (EMI).

Cette proposition s’appuie notamment sur l’intérêt marquée par l’UNESCO ou la Deutsche Welle Akademie pour cette thématique. Car depuis 2012, une semaine mondiale de l’éducation aux médias et à l’information est organisée. Un projet MIL CLICKS a même été développé pour sensibiliser à une meilleure utilisation quotidienne d’Internet et des médias sociaux.

Que le cas DJ Arafat serve donc de base pour régler les insuffisances constatées dans la gouvernance de l’Internet en Côte d’Ivoire. Cela pourrait être un bien meilleur hommage rendu à la mémoire de DJ Arafat !

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Dix (10) qualités qui font le grand leader, selon Thierry Tanoh

Pour le gala marquant ses 30 années d’existence, la JCI Abidjan Ivoire a vu grand. L’homme politique, l’économiste et ex-étudiant d’Harvard, Thierry Tanoh, a été invité à prononcer un discours sur le leadership. J’ai suivi l’élégant exposé de cet exceptionnel leader. Je vous fais le résumé.

Samedi 06 avril 2019, il est 21h45 en Côte d’Ivoire, à Abidjan, où se tient le gala. Thierry Tanoh, modeste dans son allure, malgré son parcours professionnel et politique exceptionnel, s’installe humblement au pupitre. Après de brefs mots d’usage, il entame son speech.

Dix (10) qualités d’un grand leader

Pour l’orateur, « le leadership, ça ne court pas les rues ! Etre un leader nécessite d’avoir certaines qualités qui ne se trouvent pas chez certaines personnes.». Il les décline en dix (10) points qu’il explique comme suit :

1- L’honnêteté et l’intégrité

Etre honnête et intègre est une qualité indispensable du leader. Un leader est en général une personne à qui les autres veulent ressembler. C’est pourquoi, dit-il, il est très rare que l’on veuille ressembler à quelqu’un qui n’est ni honnête, ni intègre. Et, précise-t-il, personne n’a envie de suivre dans une aventure quelqu’un de malhonnête.

2- La confiance en soi

Pour l’ex-ministre, les grands leaders sont des gens qui affichent une confiance en eux. Une confiance en soi sans que cette confiance ne devienne une arrogance vis-à-vis des autres. Ainsi, en général, les gens préfèrent suivre quelqu’un qui démontre une certaine assurance dans ce qu’il dit et ce qu’il fait.

3- Une source d’inspiration

Un leader est une personne qui arrive à inspirer. Dans les situations critiques, quand la tension monte, le leader est celui dont tout le monde a besoin.  En fait, selon l’orateur , c’est quelqu’un qui met en confiance et qui pousse à se surpasser.

« Si vos actions inspirent les autres à rêver plus, apprendre plus, faire plus et devenir plus, vous êtes un leader », John Quincy Adams.

4- L’engagement et la passion

Un leader est une personne qui montre l’exemple en donnant le meilleur de lui-même et en travaillant avec conviction. Il montre de l’engagement et de la passion dans ce qu’il fait. Il transmet ainsi sa passion aux autres et les pousse à donner le meilleur d’eux-mêmes.

5- La communication efficace

Selon Thierry Tanoh, le leader est un grand communiquant. Il doit arriver à clairement communiquer sa vision à ses collaborateurs. Car, il serait extrêmement difficile aux personnes de suivre s’ils ne comprennent pas le but poursuivi. Aussi, aujourd’hui, le leader doit tirer avantages des TICs et des médias sociaux.

6- La prise de décision

Un leader, c’est une personne qui sait prendre des décisions. Suivant l’expérience de l’orateur, « il y a les bonnes décisions et les mauvaises décisions. Mais, il n’y a rien de pire que pas de décision ». Un leader, c’est quelqu’un qui arrivera toujours à prendre une décision en ne tergiversant pas.

7- La responsabilité

Un bon leader, est une personne qui est comptable de ce qu’elle fait. Le leader assume donc la responsabilité de ses actes. En général, il accepte de prendre un peu plus de responsabilités quand les choses vont mal et un peu moins quand tout va bien. Ceci, pour ainsi faire la part belle à ses collaborateurs en temps favorable.

« Un bon leader, prend un peu plus que sa part de responsabilité, un peu moins que sa part de crédit », Arnold H. Glasow.

8- L’aptitude à déléguer

« On a souvent tendance à nous-même tout contrôler », affirme Thierry Tanoh. Arriver à déléguer, c’est donner une partie de ses responsabilités à d’autres personnes. C’est une chose qui se travaille et qui n’est pas instinctif. Il faut encourager les collaborateurs à prendre des responsabilités et les soutenir afin qu’ils les réussissent.

9- La créativité, l’innovation et la prise de risques

Comme une parfaite explication de ce point, l’ex pensionnaire d’Harvard cite l’égérie de Apple,  sans plus rien y ajouter.

«  L’innovation est ce qui distingue un meneur d’un suiveur ». Steve Jobs

10- L’empathie

Le leader doit montrer à son équipe une certaine proximité et une certaine compréhension quant à leurs préoccupations. Ainsi, il doit témoigner aux autres du respect et de la considération dans leur entité humaine.

Si vous réunissez tous ces dix (10) ingrédients, pour Thierry Tanoh, vous avez toutes les qualités pour être un grand leader.

Cependant, en guise de conclusion, ajoute-t-il, le bon leader est nécessairement placé à une position de leadership. A cette position, il produit des résultats car il sait installer les bonnes personnes aux bonnes places. Ainsi, le bon leader continuera aussi d’inspirer admiration et respect.


La calebasse du boss ou l’obésité abdominale masculine : signe d’aisance ou alerte de santé ?

Bien souvent, l’embonpoint masculin fait apparaître une bien curieuse forme à l’abdomen. En Côte d’Ivoire, on l’appelle « la calebasse du boss ». Mais contrairement aux idées reçues dans le pays, avoir la calebasse ou être obèse n’est pas toujours d’un bon présage.

Le boss et la calebasse

En Côte d’Ivoire, l’emploi du terme « boss » est monnaie courante. Du débrouillard des villages ou des villes au haut cadre de l’administration, tous aiment à adopter ce terme. La raison est simple. Dans le pays, on lui accorde une compréhension bien particulière.

Dans le milieu professionnel, bien entendu, le terme « boss(e) » désigne le/la chef(fe) ou le/la supérieur(e) hiérarchique. Cependant, dans le langage usuel ivoirien, on appelle « boss », l’individu mâle supposé appartenir à la classe moyenne émergente.

En clair, quand on t’appelle « boss » en Côte d’Ivoire, c’est que tu sembles avoir dépassé le stade de l’extrême galère. Tu sembles satisfaire tes besoins primaires. Tu t’habilles mieux, tu te loge mieux et tu manges mieux. En fait, cela signifie que tu travailles, tu gagnes de l’argent et que tu peux résoudre bien des problèmes de la grande famille et de tes amis.

Et pour le citoyen lambda, le signe apparent et évident du changement de statut social, ce sont les rondeurs qu’affiche le boss. Il a les joues bien arrondies et luisantes au soleil. Surtout, à la place du ventre, comme avec fierté, le boss arbore une belle et grosse calebasse qu’il apprécie caresser.

La calebasse, en Afrique de l’Ouest, c’est un fruit épais vidé et séché qui sert de récipient ou même d’instrument de musique. Elle a la forme concave ou ovale. La calebasse permet de caricaturer le ventre bedonnant du boss.

Une calebasse à problèmes…

Parce qu’un individu affiche des joues et un ventre joyeux, on le range dans la classe sociale des gens aisés. Et ainsi, autour de cette personne, la société construit un château de sable.

Pourvu qu’il porte des vêtements propres et soignés, on accordera au boss respect et considération. Ceci, pour le transformer en une vache à lait. Presque à chaque fois qu’il sera appelé « boss », il devra sortir les feuilles de banque pour maintenir le statut social (réel ou apparent) qu’on lui prête. Alors qu’en clair, « la calebasse du boss » peut être le signe évident d’un malaise de santé chez l’homme : l’obésité.

L’obésité, on le sait tous, est la prise d’un surplus de poids dû à une surabondance de graisses corporelles. Alors que chez les femmes, la graisse est de répartition gynoïde (hanches, cuisses essentiellement), chez l’homme l’embonpoint se manifeste autrement. La prise de graisse s’accumule le plus souvent au niveau de l’abdomen. Ainsi, apparaît et se développe la calebasse du boss. Et, avec la prolifération des fast-foods, en Côte d’Ivoire comme ailleurs, il est a craindre une augmentation exponentielle d’obèses.

Aux dires des spécialistes de la santé, un ventre bedonnant augmenterait le risque de maladies cardio-vasculaires et de diabète de type 2. Car pour eux, la répartition des kilos définit le risque cardiovasculaire. Une obésité abdominale multiplierait par deux le risque d’avoir une maladie cardiaque dans les dix ans. Selon de nombreuses études, l’élévation du tour de taille augmente le risque d’infarctus du myocarde.

En fin de compte, la fameuse calebasse du boss n’est pas tant que ça le signe d’une aisance sociale. Elle témoigne généralement de mauvaises habitudes alimentaires et d’une hygiène de vie négligée. Des moyens de lutte contre l’obésité abdominale existent. Il suffit juste de les connaître et de se les approprier.

Brisons la calebasse !

Casser la fameuse calebasse du boss n’est pas une mince affaire. Car perdre a toujours quelque chose de particulièrement difficile. Mais avant d’en arriver à sueur et sang, lutter contre l’obésité abdominale doit provenir d’un déclic psychologique. Dans le contexte ivoirien, il faut d’abord se rendre compte qu’un ventre bedonnant n’est pas le symbole d’une bénédiction matérielle. Ensuite, il faut savoir que l’enjeu n’est pas réellement esthétique. C’est une question de santé.

Cela étant acquis, suivant les conseils des spécialistes de la santé, il faut pratiquer une activité physique régulière. À cela, il faut bien se nourrir, sans trop se nourrir. C’est-à-dire avoir une alimentation adaptée, ajouter à ses deux repas des fruits et des légumes. Tout ceci observé sans excès, car on le sait maintenant fort bien que tout excès nuit.

Ces conseils suivis, vous pourrez dire : au revoir la calebasse du boss et bienvenues les tablettes de chocolat !

Bonus pour vous, de courtes vidéos super instructives…

Pourquoi y’a-t-il de plus en plus de gens obèses dans le monde ? 

Comment lutter et prévenir l’obésité ?


Médias sociaux, bons ou mauvais pour la démocratie?

Depuis le printemps arabe et les révolutions populaires au Sénégal et au Burkina Faso, les médias sociaux sont apparus comme des outils de pouvoir. A eux seuls, ils peuvent chambouler la vie sociale et politique d’un Etat. En Côte d’Ivoire, à l’occasion d’une expérience professionnelle au sein de la Friedrich-Ebert-Stiftung, je me suis posé une question sur le sujet. Celle de savoir quelles sont les influences des médias sociaux sur la démocratie.

De mon modeste travail de recherche, j’en ai tiré des réponses aussi bien positives que négatives. Je pense que les conclusions et les recommandations de ce travail peuvent être utiles au-delà de la Côte d’Ivoire.

Pour rappel, dans le pays, le taux officiel de pénétration de l’internet s’élève à 21,96%. Taux à contrebalancer quand l’on sait que le nombre d’abonnés à la téléphonie mobile est de 27 451 250 abonnés. Soit un taux de 115,26% pour 17 083 416 utilisateurs de l’internet mobile. Et selon l’Autorité de régulation des télécommunications de Côte d’Ivoire, « l’activité régulière des internautes ivoiriens est la consultation des réseaux sociaux à 81%. ».[1]

Influences positives des médias sociaux sur la démocratie

Depuis leur apparition, les médias sociaux ont eu des effets bénéfiques sur l’expression de la démocratie en général. En Côte d’Ivoire, cet impact positif sur le jeu démocratique est à observer à plusieurs niveaux.

  • La facilité d’accès du citoyen à l’information

Ce n’est plus un secret. Les médias sociaux sont devenus une source privilégiée d’information pour les internautes. Et, l’on peut aisément observer que Facebook, Twitter et YouTube sont le trio de tête de la nouvelle information sur l’actualité au détriment des médias traditionnels. Car ceux-ci offrent une solution nouvelle pour toucher le citoyen.

Ainsi, par le moyen du smartphone, les médias sociaux se montrent plus performants que les médias traditionnels pour amener les utilisateurs vers des contenus d’information. En plus, l’accès à l’information est simple et gratuit. Sans attendre, les utilisateurs peuvent avoir accès aux contenus 24H/24.[2]

  • La démocratisation de la parole et la participation au débat public

Les médias sociaux ont libéré la parole. Ils ont permis au citoyen, quelle que soit sa position géographique ou son rang social de participer au débat public, de partager son opinion, d’exprimer ses idées au-delà des clivages partisans et ainsi aider au jeu démocratique dans son pays. Dans tous les domaines de la vie de la Nation, le citoyen a la possibilité de faire entendre sa voix et qu’elle soit prise en compte. Il peut ainsi se prononcer sur les conditions de vie sociale, la gouvernance locale, l’alternance démocratique, etc.

  • Le rôle d’éveil des consciences et de mobilisation sociale

Les médias sociaux de par leur utilisation de plus en plus répandue et de leur dimension planétaire, participent à l’éveil de la conscience démocratique. Les groupes marginalisés ou opprimés peuvent par le biais de ce canal comparer leur situation socio-politique avec celle d’autres peuples et réagir en conséquence. Le printemps arabe et la révolution burkinabé sont des exemples qui viennent à propos. En Côte d’Ivoire, la bastonnade du journaliste-blogueur Daouda Coulibaly a suscité la colère des internautes ivoiriens. Ceux-ci qui n’ont pas hésité en masse à rappeler au gouvernement que la liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux des systèmes dits démocratiques.

  • L’interaction avec les politiques

Les médias sociaux offrent aux acteurs et aux institutions politiques, ainsi qu’à la population, des possibilités d’interaction novatrice. Grâce aux médias sociaux, la communication n’est plus uniquement verticale. C’est-à-dire de l’institution ou du politique au citoyen. Désormais, la communication est horizontale. Elle permet donc au citoyen de réagir directement à l’information ou au point de vue du politique. Ainsi, pour les politiciens, c’est un moyen privilégié de diffusion de leurs messages politiques. Mais aussi, de découvrir les domaines d’intérêt, les besoins des populations et de constituer des réseaux de soutien.

  • Une réponse à la crise de la représentation

En Côte d’Ivoire, il faut l’avouer, la politisation des débats même sociaux économiques, a conduit les populations à se rebeller contre les autorités publiques en qui ils ont perdu confiance. Désormais, les populations ou les personnes cherchent de plus en plus à se faire entendre par elles-mêmes. Elles outrepassent ainsi les élus et autres autorités administratives pour se faire entendre. Les médias sociaux servent désormais de canal pour remonter directement leurs préoccupations aux hauts gouvernants. Des maternités ont été rénovées, des couveuses pour bébé prématuré ont été obtenues, des travaux de réparation et d’assainissement ont été effectués grâce à l’action interpellatrice directe des populations via les médias sociaux.

A noter tous ces aspects positifs, il ne faut surtout pas penser que les médias sociaux sont la panacée à tout. Et bien au contraire, ils peuvent être eux-même sources de problèmes quand ils sont mal utilisés.

Influences négatives des médias sociaux sur la démocratie

Avec la crise post-électorale ivoirienne de 2010-2011, l’on a observé que les médias sociaux pouvaient servir de bien lugubres desseins. Desseins ayant pour finalité la mise à mal du système démocratique du pays. Divers indicateurs révèlent cette influence négative.

  • Les fausses informations

Le phénomène des « fake news » ou « fausses informations » n’est pas nouveau. Sous la forme de folles rumeurs ou d’informations montées de toute pièce, il a toujours existé dans l’horizon socio-politique ivoirien. Avec les médias sociaux, le phénomène s’est simplement aggravé par la diffusion virale et large qu’elle offre. De plus en plus, la lutte contre les fausses nouvelles s’organise. Car, c’est aujourd’hui un enjeu crucial pour la démocratie.

Les fausses informations peuvent ainsi influer sur l’issue d’une élection par exemple. Le cas de l’implication supposée de la Russie dans l’élection américaine est parlant. Selon Facebook, près de 80 000 messages politiques créés par des acteurs russes ont été vus par quelque 126 millions d’Américains à l’occasion de la campagne électorale de 2016.

  • Le buzz et la viralité de l’information

Sur les médias sociaux, un phénomène nouveau a cours en ce moment. Il s’agit du buzz, c’est-à-dire la course au partage d’une information inédite. Cette technique a le bénéfice de toucher en un laps de temps un nombre important de personnes et susciter une réaction. Mais cette technique à un revers désastreux. Il permet le relais d’informations erronées ou manipulatrices non-vérifiées. Celles-ci peuvent avoir des conséquences irrémédiables.

Twitter puis Facebook sont les champions en la matière. Grâce aux hashtags, retweets et partages, l’information non-vérifiée se répand comme une traînée de poudre. Surtout, qu’à l’ère des médias sociaux, on lit très peu. Les titres et les textes descriptifs sont retenus comme l’information elle-même. En témoigne la chute des ventes des journaux en Côte d’Ivoire[3]. Tout ceci n’est pas sans conséquence sur la vérification des faits et la responsabilité qui caractérise le journalisme de qualité.

  • La manipulation politique et les débats stériles

Sur les médias sociaux en Côte d’Ivoire, il n’est pas rare de voir une information vraie détournée pour servir une cause politique malsaine. De banals faits divers sont commentés pour servir des intérêts politiques au détriment de la paix et de la cohésion sociale. L’irrévérence vis-à-vis des personnalités de l’Etat, les injures gratuites et les attaques personnelles polluent les débats. Elles sont rares les plateformes offrant des débats d’opinions construits et utiles pour la démocratie.

Bien souvent, aidé par les algorithmes des réseaux sociaux, l’internaute demeure dans une sorte de bulle de confort (filter bubble)[4]. Il ne reçoit que les informations proches de ses propres convictions. Ainsi, il ne participe pas vraiment à un débat d’opinion contradictoire. Car, rien ou presque ne le met en face d’un contradicteur, surtout si ce dernier ne veut pas débattre. Or, en démocratie, la discussion libre et le respect de l’opinion de l’autre (même si on ne la partage pas) est fondamental.

  • Les discours haineux, ethnicisés et xénophobes

Presque des conséquences absolues du débat stérile, les discours haineux, ethnicisés et xénophobes sont observables sur la toile ivoirienne. Ils sont de toute évidence liés à un manque criard d’arguments pour défendre les positions. Et, l’anonymat au travers notamment des faux profils encouragent la pauvreté des discussions en ligne. Pire, il favorise une parole plus violente ou davantage d’écarts de conduite sur le web.[5]

On a pu le voir dans la crise post-électorale ivoirienne. Les réseaux sociaux ont servi à exacerber les tensions. Avant, les gens n’avaient pas le courage de dire leur haine en public contre tel groupe ethnique ou tel autre groupe de non-nationaux. Mais avec l’usage des réseaux sociaux, les gens se sont tout permis sans plus se fixer de limites. Ils ont bénéficié d’une large audience de diffusion de leurs messages abjects. Dans une certaine mesure, l’on pourrait dire que les médias sociaux ont joué le rôle de la tristement célèbre « Radio mille collines » au Rwanda. Le résultat, on le connaît fort bien. Plus de 3 000 morts officiellement dénombrés.

  • L’incitation au fanatisme religieux, au crime et à la révolte

Avec l’émergence de l’idéologie religieuse totalitaire en Afrique, de nouvelles menaces à la démocratie ont fait leur apparition sur les médias sociaux. Ces derniers sont utilisés pour promouvoir des idées extrémistes contraires aux valeurs et principes de la démocratie, notamment la liberté de religion. Aussi, des appels au crime et à la révolte pour des convictions politiques ou personnelles sont relayés via les réseaux sociaux. Le cas de l’interpellation par la police criminelle ivoirienne d’un internaute ivoirien appelant « au meurtre des enfants de gendarme » est évocateur.

Les arguments sus évoqués témoignent bien des différentes influences que peuvent avoir l’utilisation des médias sociaux sur la démocratie en Côte d’Ivoire. Elles sont tantôt positives, tantôt négatives.

Quelques recommandations pour améliorer l’usage des médias sociaux

Dans l’intérêt de la société, il convient de faire des recommandations pour profiter des aspects positifs mais aussi juguler les effets négatifs que peuvent avoir les médias sociaux. Je me permets donc de partager mes quelques recommandations.

Aux gouvernants
  1. Veiller à la prise de mesures législatives spéciales liées aux médias sociaux et veiller à leur application effective ;
  2. Renforcer la communication institutionnelle sur les médias sociaux en accordant davantage d’attention aux préoccupations des administrés ;
  3. Impliquer les acteurs clés des médias sociaux dans les activités de communication ;
  4. Prévoir un régime de promotion transitoire de la presse en ligne ;
  5. Eviter la censure gratuite des opinions et la traque des cyber-activistes ;
  6. Eviter de céder à la facilité intellectuelle en taxant l’utilisation d’internet et les médias sociaux ;
  7. Insérer dans les programmes académiques des modules sur l’éducation aux nouveaux médias et à l’information.
Aux organisations de la société civile
  1. Davantage renforcer leur présence sur les médias sociaux ;
  2. Faire l’observation régulière des médias sociaux et rédiger des rapports en ce sens ;
  3. Contribuer à la sensibilisation et à l’information pour une utilisation positive des médias sociaux.
Aux acteurs des médias traditionnels et des nouveaux médias
  1. S’adapter au changement en renforçant la présence des médias traditionnels sur les médias sociaux ;
  2. Résister à la tentation du buzz sans vérification préalable des informations à diffuser ;
  3. Faire preuve d’éthique et de responsabilité lors de la diffusion de contenus ;
  4. Assurer une réelle modération et l’administration des pages et forums en supprimant les commentaires contraires aux principes démocratiques ;
  5. Donner au cyber citoyen les moyens de vérifier les informations reçues ;
  6. Rédiger un manuel d’éthique et de responsabilité du communicateur des nouveaux médias.
Aux internautes
  1. S’auto-réguler en évitant les pratiques contraires à la démocratie ;
  2. S’exprimer librement en respectant les droits des autres ;
  3. Participer utilement aux débats en avançant des arguments construits ;
  4. Signaler les contenus qui paraissent contraires aux principes et valeurs de la démocratie ;
  5. Vérifier les informations reçues avant de les diffuser ou d’en faire l’écho et bien qu’utiles, évitons d’être accros aux médias sociaux.

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Références : 

Pour plus d’infos, retrouvez l’intégralité de notre étude (pages 20 à 29) en cliquant ICI.

[1] Les chiffres clés de l’Internet en Côte d’Ivoire : 22% de la population connectée en 2016, novembre 2016 https://urlz.fr/6R4D

[2] Les réseaux sociaux : un accès à l’information, Offre Digitale, février 2018 https://urlz.fr/6R45

[3] Médias : la vente des journaux a chuté de 17 % en 2017 en Côte d’Ivoire (CNP), Abidjan.net, avril 2018 https://urlz.fr/6T8E

[4] Bulles de filtre et démocratie, Christelle CURCIO, janvier 2017

[5] https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Numerique/Application-Sarahah-dangers-messages-anonymes-2017-08-24-1200871555


Côte d’Ivoire : qui veut être élu(e) ménage sa communication

En Côte d’Ivoire, la campagne électorale pour les élections régionales et municipales est lancée depuis le 28 septembre 2018. Overte pour 14 jours, elle ne laisse presque personne indifférent tant les dieux de la communication se sont invités dans l’arène politique. Promesses mirobolantes, affiches et vidéos séduisantes, bains de foule abracadabrantesques, etc. Autant de faits et d’astuces pour recueillir le suffrage des reines et des rois d’un seul jour : les électeurs.

Ce n’est absolument pas insolite de constater des duels entre des candidats en campagne. Cela s’inscrit dans l’ordre naturel des choses en politique. Ainsi, les élections locales en Côte d’Ivoire ne dérogent pas à cette règle.

Les duels de communication entre candidats

Et comme pour bien faire les choses, certains candidats ou du moins certaines zones électorales en Côte d’Ivoire se sont démarquées plus que d’autres. Les élections pour deux zones stratégiques de la ville d’Abidjan, la capitale économique, déchaînent toutes les passions. Tout d’abord celle de la commune du Plateau et ensuite celle de la commune d’Abobo.

  • L’élection du maire de la commune du Plateau

Pour ceux qui ne le savent pas, la commune du plateau à Abidjan est le centre des affaires. Elle abrite la plupart des institutions nationales, les sièges des banques, des grandes entreprises, mais aussi les sièges de plusieurs institutions internationales. Cette commune est donc d’une grande importance stratégique et économique. Et, pour les élections dans cette zone, deux candidats titanesques s’affrontent.

Le premier est Fabrice Sawegnon, patron du groupe Voodoo communication. Il entend envoûter les électeurs avec ses talents de communicateur. Talents qui lui ont valu son surnom de « faiseurs de rois ». En effet, il a assuré la communication de la campagne présidentielle de personnalités comme Ali Bongo, Patrice Talon, Alassane Ouattara et j’en passe. Son slogan de campagne #AgirAvecLeCoeur est évocateur. Il promet l’assurance-maladie à chaque habitant, des emplois à chaque jeune et de hisser le Plateau au rang de labels comme Paris ou New-York. Pour parvenir à ses fins, il n’hésite pas à sortir le grand jeu. Dans la commune, ses affiches démesurément grandes font de très loin écran à celles de son challenger. Sur internet, il n’hésite pas à se mettre en scène pour séduire.

Fabrice Sawegnon, #AgirAvecLeCoeur

Le second, Jacques Ehouo, est présenté comme le candidat de l’espoir face à celui qualifié de « candidat du pouvoir ». En effet, Jacques Ehouo, jeune député, a été propulsé par son parti dans la campagne après la destitution de l’ancien maire. Ce dernier, juste quelques semaines avant le début de la campagne électorale, a été poursuivi pour une affaire de détournement de fonds. En contre-attaque à la politique de son adversaire, Jacques Ehouo rétorque que les actions qui viennent véritablement du cœur ne font pas trop de bruits. Son slogan et son hashtag sont ainsi trouvés #SansBruit. Dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, des habitants de la commune témoignent des actions de leur champion.

Jacques Ehouo, #SansBruit
  • L’élection du maire de lacommune d’Abobo

Abobo est de loin la commune la plus atypique d’Abidjan voire de Côte d’Ivoire. Deuxième commune la plus peuplée après Yopougon, Abobo est qualifiée de commune des « bramôgôs », des « grouilleurs ». Bref, des personnes qui luttent chaque jour pour exister et s’en sortir dans la vie. Dans cette commune, la campagne électorale doit nécessairement se faire autrement. A cet exercice, deux poids lourds se font face. Derrière chaque candidat, c’est une formation politique en scission qui mesure ses forces.

Le premier candidat à présenter n’est nul autre que le ministre de la Défense, Hamed Bakayoko ou « Hambak » de son surnom. Militant convaincu et officiellement soutenu par le parti au pouvoir, Hambak n’a pas attendu le début de la campagne pour faire parler le lui. En fin stratège, il s’est lancé quelques semaines avant dans la cause dite humanitaire et sociale. Il a commencé par offrir des véhicules aux communautés, des centaines de machines à coudre, des denrées alimentaires, etc. Plusieurs personnes ont également reçu des sommes d’argent pour, dit-on, financer leurs projets. Lui aussi ne reste pas en marge du monde de la communication. Ses affiches, ses vidéos et autres supports démontrent son envie de gagner.

Une vidéo de campagne du candidat Hamed Bakayoko.

Le second candidat, plus modeste dans sa prestance, est un inconnu aux yeux du grand public. Mais à Abobo, il semble être une pop star. On l’appelle Koné Tehfour. Il est qualifié de Soroïste, référence faite à son soutien indéfectible à son mentor Soro Kibafori Guillaume, président de l’Assemblée nationale, ex chef de la rébellion armée et probable candidat aux élections présidentielles de 2020. A entendre ses partisans, Koné Tehfour est leur sauveur. Car semble-t-il, il n’a pas attendu qu’il y ait des élections pour s’intéresser aux populations dites pauvres. Son slogan tiré du langage de rue pratiqué à Abobo et devenu viral traduit justement cette dernière idée : #OnTchounPasAbobo.

Koné Tehfour, #OnTchounPasAbobo.

Elections, ce n’est pas palabre !

Comme dit le proverbe africain, « Même si tu n’aimes pas le lièvre, reconnais au moins qu’il court vite. » Ces jeux de duels de communication entre candidats ont le don de booster la participation des populations à l’action publique. Cela est à saluer.

Cependant, il convient d’alerter sur les fortes passions que déchaînent ces stratégies de communication. On le sait trop bien en Côte d’Ivoire, les passions restent difficiles et peuvent parfois conduire à des actes regrettables si elles ne sont pas vite maîtrisées.

Ainsi, à l’approche du 13 octobre 2018, journée de scrutin, il faut insister sur le fait que les élections ne doivent pas être des sources de violences. C’est pourquoi, les candidats doivent s’abstenir de propos et d’actes de violence comme on a déjà pu le constater.

le duel de communication

Il y a donc lieu d’en appeler à la conscience et à la responsabilité des candidats. Car ils ont la charge d’éduquer leurs partisans à accepter les résultats des urnes. Et à tout le moins, de recourir aux moyens légaux pour se faire entendre en cas de suspicion de fraude.

Car il faut le rappeler, la Commission électorale (CEI) actuelle a été déclarée illégitime et illégale par une décision de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. Sa réforme avait même été présentée comme une condition sine qua non de participation de la plateforme des partis de l’opposition.

Ceci dit, tout de même, nous souhaitons un franc succès à tous les candidats ! Que le meilleur gagne, démocratiquement !


Que vive le cinéma ambulant en Afrique !

En Afrique, le cinéma ambulant a longtemps joué un important rôle de promotion du film noir, et pas seulement. Aujourd’hui, ce beau projet, en grande partie porté par les missionnaires religieux et l’Association Cinéma Numérique Ambulant, tend à disparaître. Au travers de mon souvenir d’enfance, je démontre toute la nécessité de continuer à faire vivre ce projet humaniste.

« La solution », une projection du cinéma ambulant

Des fois, des détails de mon jeune passé refont surface de manière assez curieuse. Cette fois, a surgi de nulle part le souvenir heureux d’un film de mon enfance. Il s’agit du film d’évangélisation intitulé « La Solution ». Je précise, il n’a carrément rien à voir avec le prétentieux slogan de campagne d’un personnage politique ivoirien.

Ce film, tous les gamins des années 2000 de mon quartier d’alors de Bouaké – ville de Côte d’Ivoire – le connaissent très bien. La nuit tombée, dans l’une des nombreuses ruelles sombres du quartier, il avait été projeté sur un vulgaire tissu blanc.

Mon esprit d’enfant avait été marqué par deux choses. D’abord, l’excellent jeu de rôle d’un personnage du film appelé « Nato ». Pourquoi ? Prenant très au sérieux son rôle de féticheur-épouvantail, « Nato » avait contribué à me donner un esprit fertile et alerte à chaque fois que je devais m’engager dans une pénombre. Lol, pauvre enfant que j’étais !

La seconde chose est que j’avais été admiratif de ces gens qui assemblaient le matériel de projection du cinéma ambulant. J’avais été marqué par le fait qu’ils offraient, à ciel ouvert, un spectacle cinématographique entièrement gratuit. Un rare spectacle qui avait permis à de nombreux autres enfants et leurs parents de bénéficier, le temps d’une soirée, d’une des grâces de la télé. Car pour ne rien manquer de l’événement annoncé, plusieurs habitants des villages périphériques non électrifiés avaient spécialement fait le déplacement.

Que d’émotions et de spiritualités partagées ce soir-là !

Quel est le sort du cinéma ambulant aujourd’hui ?

A l’heure de ces souvenirs qui m’ont arraché de fous sourires, j’ai eu l’envie de revisiter la production. Quelques clics vite fait sur Youtube m’ont permis de savourer le nectar cinématographique de mon enfance.

La solution, un film de production ivoirienne. Ici traduit pour les besoins du public Haïtien

Au fil des séquences du film, mon esprit d’antan, seulement vieilli de quelques années, ne pouvait s’empêcher de s’interroger. Qu’est devenu le cinéma ambulant diffuseur de belles émotions ? Pourquoi ce film m’avait-il autant marqué ? Pourquoi bon nombre des récentes productions n’ont pas le même effet de séduction sur moi ?  Autant de questions auxquelles je crois maintenant avoir un soupçon de réponse.

Premièrement, le développement du numérique et la facilité d’accès aux contenus vidéos fait croire en l’inutilité du cinéma ambulant. Mais en réalité, c’est à tort que cette pensée se développe et empêche ce genre d’initiatives. Parlant de l’Afrique, malgré l’essor du digital, il ne faut pas oublier que le continent reste encore sous éclairé. Environ 640 millions d’Africains n’ont toujours pas accès à l’électricité, à fortiori aux grâces des productions cinématographiques. Ainsi, il faut reconnaître que le cinéma ambulant a toute sa place. Car il est aussi un outil de promotion des films locaux, notamment africains. Et, même si toute l’Afrique venait à être électrifiée, rien ne remplace ces moments collectifs de partage d’émotions, en dehors des salles payantes de cinéma.

Deuxièmement, si cette expérience de cinéma ambulant m’avait autant marqué, c’est sûrement à cause de l’excellente qualité du film projeté. Bien qu’aujourd’hui vieux de plusieurs décennies, le film de mon enfance est comme intemporel. Il n’a rien perdu de son charme, de son actualité et de sa profondeur en instruction. Richesse proverbiale, mise en avant de la culture, discours structuré et bien articulé des acteurs démontrent clairement le sérieux et le professionnalisme de l’équipe de réalisation. Un exemple à copier pour les jeunes générations africaines de réalisateurs. La plupart des récentes productions, certes belles visuellement, manquent cruellement de scénarios cohérents.

Clin d’œil au cinéma ivoirien

Ce souvenir des pages de mon enfance me permet de rendre hommage à de belles productions cinématographiques de Côte d’Ivoire. De mon avis, elles sont comme le bon vin qui se bonifie avec le temps. Cela me permet d’évoquer l’année 1968, considérée par beaucoup comme l’année de naissance du cinéma ivoirien. Cette année-là a vu le jour « Sur la Dune de la Solitude », un film écrit et réalisé par Timité Bassori, jeune ivoirien à l’époque.

Depuis lors, de fabuleuses productions rythment et influencent encore aujourd’hui le quotidien de plusieurs milliers d’ivoiriens. Qui ne se rappelle pas du film série dénommé « SIDA dans la cité » ? Un film de sensibilisation sur la maladie de l’immunodéficience. Qui d’autre n’a pas le souvenir du film « Bal poussière, 1989 », « Au nom du Christ, 1993 », « Le sixième doigt, 1990 », « Run, 2014 », « Caramel, 2005 », « Adanggaman, 2000 », « Roues libres, 2002 », « Bronx Barbès, 2000 »,  et j’en passe. Personne ! Ils sont comme faisant partir de l’identité même de l’ivoirien, tant leur renommée demeure grande.

En somme, retenons que le cinéma ambulant doit continuer d’apporter sa pierre à la promotion cultuelle, surtout en Afrique. Quand l’on sait toute l’influence que le cinéma a sur les masses, il faut encourager ce genre d’initiatives et la diffusion de films africains. Car, mine de rien, la production cinématographique est le fruit de la conception spirituelle et philosophique d’un peuple, d’un continent. Sinon quoi, nous peuples africains, très ouverts au monde (ce qui n’est pas mauvais en soi), risquons l’acculturation totale.

Tout ce que je souhaite au travers de ce billet, c’est que brille davantage le cinéma africain ! Et que vive le cinéma ambulant ! Avec peut-être un meilleur modèle de diffusion, qui contribue à la rémunération des ayants droits des films. Comme le fait si bien l’Association Cinéma Numérique Ambulant (CNA).

Trêve de bavardage, merci de m’avoir écouté ! J’ai bien fait mon cinéma !

« Le cinéma n’est pas un spectacle, c’est une écriture. » Robert Bresson