Médias sociaux, bons ou mauvais pour la démocratie?

Article : Médias sociaux, bons ou mauvais pour la démocratie?
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26 mars 2019

Médias sociaux, bons ou mauvais pour la démocratie?

Depuis le printemps arabe et les révolutions populaires au Sénégal et au Burkina Faso, les médias sociaux sont apparus comme des outils de pouvoir. A eux seuls, ils peuvent chambouler la vie sociale et politique d’un Etat. En Côte d’Ivoire, à l’occasion d’une expérience professionnelle au sein de la Friedrich-Ebert-Stiftung, je me suis posé une question sur le sujet. Celle de savoir quelles sont les influences des médias sociaux sur la démocratie.

De mon modeste travail de recherche, j’en ai tiré des réponses aussi bien positives que négatives. Je pense que les conclusions et les recommandations de ce travail peuvent être utiles au-delà de la Côte d’Ivoire.

Pour rappel, dans le pays, le taux officiel de pénétration de l’internet s’élève à 21,96%. Taux à contrebalancer quand l’on sait que le nombre d’abonnés à la téléphonie mobile est de 27 451 250 abonnés. Soit un taux de 115,26% pour 17 083 416 utilisateurs de l’internet mobile. Et selon l’Autorité de régulation des télécommunications de Côte d’Ivoire, « l’activité régulière des internautes ivoiriens est la consultation des réseaux sociaux à 81%. ».[1]

Influences positives des médias sociaux sur la démocratie

Depuis leur apparition, les médias sociaux ont eu des effets bénéfiques sur l’expression de la démocratie en général. En Côte d’Ivoire, cet impact positif sur le jeu démocratique est à observer à plusieurs niveaux.

  • La facilité d’accès du citoyen à l’information

Ce n’est plus un secret. Les médias sociaux sont devenus une source privilégiée d’information pour les internautes. Et, l’on peut aisément observer que Facebook, Twitter et YouTube sont le trio de tête de la nouvelle information sur l’actualité au détriment des médias traditionnels. Car ceux-ci offrent une solution nouvelle pour toucher le citoyen.

Ainsi, par le moyen du smartphone, les médias sociaux se montrent plus performants que les médias traditionnels pour amener les utilisateurs vers des contenus d’information. En plus, l’accès à l’information est simple et gratuit. Sans attendre, les utilisateurs peuvent avoir accès aux contenus 24H/24.[2]

  • La démocratisation de la parole et la participation au débat public

Les médias sociaux ont libéré la parole. Ils ont permis au citoyen, quelle que soit sa position géographique ou son rang social de participer au débat public, de partager son opinion, d’exprimer ses idées au-delà des clivages partisans et ainsi aider au jeu démocratique dans son pays. Dans tous les domaines de la vie de la Nation, le citoyen a la possibilité de faire entendre sa voix et qu’elle soit prise en compte. Il peut ainsi se prononcer sur les conditions de vie sociale, la gouvernance locale, l’alternance démocratique, etc.

  • Le rôle d’éveil des consciences et de mobilisation sociale

Les médias sociaux de par leur utilisation de plus en plus répandue et de leur dimension planétaire, participent à l’éveil de la conscience démocratique. Les groupes marginalisés ou opprimés peuvent par le biais de ce canal comparer leur situation socio-politique avec celle d’autres peuples et réagir en conséquence. Le printemps arabe et la révolution burkinabé sont des exemples qui viennent à propos. En Côte d’Ivoire, la bastonnade du journaliste-blogueur Daouda Coulibaly a suscité la colère des internautes ivoiriens. Ceux-ci qui n’ont pas hésité en masse à rappeler au gouvernement que la liberté de la presse est l’un des principes fondamentaux des systèmes dits démocratiques.

  • L’interaction avec les politiques

Les médias sociaux offrent aux acteurs et aux institutions politiques, ainsi qu’à la population, des possibilités d’interaction novatrice. Grâce aux médias sociaux, la communication n’est plus uniquement verticale. C’est-à-dire de l’institution ou du politique au citoyen. Désormais, la communication est horizontale. Elle permet donc au citoyen de réagir directement à l’information ou au point de vue du politique. Ainsi, pour les politiciens, c’est un moyen privilégié de diffusion de leurs messages politiques. Mais aussi, de découvrir les domaines d’intérêt, les besoins des populations et de constituer des réseaux de soutien.

  • Une réponse à la crise de la représentation

En Côte d’Ivoire, il faut l’avouer, la politisation des débats même sociaux économiques, a conduit les populations à se rebeller contre les autorités publiques en qui ils ont perdu confiance. Désormais, les populations ou les personnes cherchent de plus en plus à se faire entendre par elles-mêmes. Elles outrepassent ainsi les élus et autres autorités administratives pour se faire entendre. Les médias sociaux servent désormais de canal pour remonter directement leurs préoccupations aux hauts gouvernants. Des maternités ont été rénovées, des couveuses pour bébé prématuré ont été obtenues, des travaux de réparation et d’assainissement ont été effectués grâce à l’action interpellatrice directe des populations via les médias sociaux.

A noter tous ces aspects positifs, il ne faut surtout pas penser que les médias sociaux sont la panacée à tout. Et bien au contraire, ils peuvent être eux-même sources de problèmes quand ils sont mal utilisés.

Influences négatives des médias sociaux sur la démocratie

Avec la crise post-électorale ivoirienne de 2010-2011, l’on a observé que les médias sociaux pouvaient servir de bien lugubres desseins. Desseins ayant pour finalité la mise à mal du système démocratique du pays. Divers indicateurs révèlent cette influence négative.

  • Les fausses informations

Le phénomène des « fake news » ou « fausses informations » n’est pas nouveau. Sous la forme de folles rumeurs ou d’informations montées de toute pièce, il a toujours existé dans l’horizon socio-politique ivoirien. Avec les médias sociaux, le phénomène s’est simplement aggravé par la diffusion virale et large qu’elle offre. De plus en plus, la lutte contre les fausses nouvelles s’organise. Car, c’est aujourd’hui un enjeu crucial pour la démocratie.

Les fausses informations peuvent ainsi influer sur l’issue d’une élection par exemple. Le cas de l’implication supposée de la Russie dans l’élection américaine est parlant. Selon Facebook, près de 80 000 messages politiques créés par des acteurs russes ont été vus par quelque 126 millions d’Américains à l’occasion de la campagne électorale de 2016.

  • Le buzz et la viralité de l’information

Sur les médias sociaux, un phénomène nouveau a cours en ce moment. Il s’agit du buzz, c’est-à-dire la course au partage d’une information inédite. Cette technique a le bénéfice de toucher en un laps de temps un nombre important de personnes et susciter une réaction. Mais cette technique à un revers désastreux. Il permet le relais d’informations erronées ou manipulatrices non-vérifiées. Celles-ci peuvent avoir des conséquences irrémédiables.

Twitter puis Facebook sont les champions en la matière. Grâce aux hashtags, retweets et partages, l’information non-vérifiée se répand comme une traînée de poudre. Surtout, qu’à l’ère des médias sociaux, on lit très peu. Les titres et les textes descriptifs sont retenus comme l’information elle-même. En témoigne la chute des ventes des journaux en Côte d’Ivoire[3]. Tout ceci n’est pas sans conséquence sur la vérification des faits et la responsabilité qui caractérise le journalisme de qualité.

  • La manipulation politique et les débats stériles

Sur les médias sociaux en Côte d’Ivoire, il n’est pas rare de voir une information vraie détournée pour servir une cause politique malsaine. De banals faits divers sont commentés pour servir des intérêts politiques au détriment de la paix et de la cohésion sociale. L’irrévérence vis-à-vis des personnalités de l’Etat, les injures gratuites et les attaques personnelles polluent les débats. Elles sont rares les plateformes offrant des débats d’opinions construits et utiles pour la démocratie.

Bien souvent, aidé par les algorithmes des réseaux sociaux, l’internaute demeure dans une sorte de bulle de confort (filter bubble)[4]. Il ne reçoit que les informations proches de ses propres convictions. Ainsi, il ne participe pas vraiment à un débat d’opinion contradictoire. Car, rien ou presque ne le met en face d’un contradicteur, surtout si ce dernier ne veut pas débattre. Or, en démocratie, la discussion libre et le respect de l’opinion de l’autre (même si on ne la partage pas) est fondamental.

  • Les discours haineux, ethnicisés et xénophobes

Presque des conséquences absolues du débat stérile, les discours haineux, ethnicisés et xénophobes sont observables sur la toile ivoirienne. Ils sont de toute évidence liés à un manque criard d’arguments pour défendre les positions. Et, l’anonymat au travers notamment des faux profils encouragent la pauvreté des discussions en ligne. Pire, il favorise une parole plus violente ou davantage d’écarts de conduite sur le web.[5]

On a pu le voir dans la crise post-électorale ivoirienne. Les réseaux sociaux ont servi à exacerber les tensions. Avant, les gens n’avaient pas le courage de dire leur haine en public contre tel groupe ethnique ou tel autre groupe de non-nationaux. Mais avec l’usage des réseaux sociaux, les gens se sont tout permis sans plus se fixer de limites. Ils ont bénéficié d’une large audience de diffusion de leurs messages abjects. Dans une certaine mesure, l’on pourrait dire que les médias sociaux ont joué le rôle de la tristement célèbre « Radio mille collines » au Rwanda. Le résultat, on le connaît fort bien. Plus de 3 000 morts officiellement dénombrés.

  • L’incitation au fanatisme religieux, au crime et à la révolte

Avec l’émergence de l’idéologie religieuse totalitaire en Afrique, de nouvelles menaces à la démocratie ont fait leur apparition sur les médias sociaux. Ces derniers sont utilisés pour promouvoir des idées extrémistes contraires aux valeurs et principes de la démocratie, notamment la liberté de religion. Aussi, des appels au crime et à la révolte pour des convictions politiques ou personnelles sont relayés via les réseaux sociaux. Le cas de l’interpellation par la police criminelle ivoirienne d’un internaute ivoirien appelant « au meurtre des enfants de gendarme » est évocateur.

Les arguments sus évoqués témoignent bien des différentes influences que peuvent avoir l’utilisation des médias sociaux sur la démocratie en Côte d’Ivoire. Elles sont tantôt positives, tantôt négatives.

Quelques recommandations pour améliorer l’usage des médias sociaux

Dans l’intérêt de la société, il convient de faire des recommandations pour profiter des aspects positifs mais aussi juguler les effets négatifs que peuvent avoir les médias sociaux. Je me permets donc de partager mes quelques recommandations.

Aux gouvernants
  1. Veiller à la prise de mesures législatives spéciales liées aux médias sociaux et veiller à leur application effective ;
  2. Renforcer la communication institutionnelle sur les médias sociaux en accordant davantage d’attention aux préoccupations des administrés ;
  3. Impliquer les acteurs clés des médias sociaux dans les activités de communication ;
  4. Prévoir un régime de promotion transitoire de la presse en ligne ;
  5. Eviter la censure gratuite des opinions et la traque des cyber-activistes ;
  6. Eviter de céder à la facilité intellectuelle en taxant l’utilisation d’internet et les médias sociaux ;
  7. Insérer dans les programmes académiques des modules sur l’éducation aux nouveaux médias et à l’information.
Aux organisations de la société civile
  1. Davantage renforcer leur présence sur les médias sociaux ;
  2. Faire l’observation régulière des médias sociaux et rédiger des rapports en ce sens ;
  3. Contribuer à la sensibilisation et à l’information pour une utilisation positive des médias sociaux.
Aux acteurs des médias traditionnels et des nouveaux médias
  1. S’adapter au changement en renforçant la présence des médias traditionnels sur les médias sociaux ;
  2. Résister à la tentation du buzz sans vérification préalable des informations à diffuser ;
  3. Faire preuve d’éthique et de responsabilité lors de la diffusion de contenus ;
  4. Assurer une réelle modération et l’administration des pages et forums en supprimant les commentaires contraires aux principes démocratiques ;
  5. Donner au cyber citoyen les moyens de vérifier les informations reçues ;
  6. Rédiger un manuel d’éthique et de responsabilité du communicateur des nouveaux médias.
Aux internautes
  1. S’auto-réguler en évitant les pratiques contraires à la démocratie ;
  2. S’exprimer librement en respectant les droits des autres ;
  3. Participer utilement aux débats en avançant des arguments construits ;
  4. Signaler les contenus qui paraissent contraires aux principes et valeurs de la démocratie ;
  5. Vérifier les informations reçues avant de les diffuser ou d’en faire l’écho et bien qu’utiles, évitons d’être accros aux médias sociaux.

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Références : 

Pour plus d’infos, retrouvez l’intégralité de notre étude (pages 20 à 29) en cliquant ICI.

[1] Les chiffres clés de l’Internet en Côte d’Ivoire : 22% de la population connectée en 2016, novembre 2016 https://urlz.fr/6R4D

[2] Les réseaux sociaux : un accès à l’information, Offre Digitale, février 2018 https://urlz.fr/6R45

[3] Médias : la vente des journaux a chuté de 17 % en 2017 en Côte d’Ivoire (CNP), Abidjan.net, avril 2018 https://urlz.fr/6T8E

[4] Bulles de filtre et démocratie, Christelle CURCIO, janvier 2017

[5] https://www.la-croix.com/Sciences-et-ethique/Numerique/Application-Sarahah-dangers-messages-anonymes-2017-08-24-1200871555

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Commentaires

Benjamin Yobouet
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Bel article, dommage pas de boutons de partage sur les réseaux sociaux !

Ruben BONI
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Merci Cher Yobouet,
Mais tu peux toujours copier le lien de l'article que voici et le coller en vue de partage sur ta page.

Jacquaud
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Merci pour tout votre article m'a bien aidé !i!