La migration clandestine, une autre traite négrière, vue par le cinéma

Article : La migration clandestine, une autre traite négrière, vue par le cinéma
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23 novembre 2017

La migration clandestine, une autre traite négrière, vue par le cinéma

La semaine du 13 au 18 novembre 2017 à Abidjan/Côte d’Ivoire, a eu lieu la 9ème édition du  festival « Ciné Droit Libre ». Il s’agit du festival africain de films sur les droits humains et la liberté d’expression. Cinéastes, blogueurs, activistes, organisations nationales et internationales de divers horizons se sont donnés rendez-vous autour d’un thème d’actualité : l’immigration clandestine. De toutes les projections faites, un film en particulier a interpellé ma conscience d’africain…

« Les Sauteurs », un film humain d’un migrant…

Le décor étant ainsi planté, parlons du film d’ouverture du festival diffusé au Goethe institut d’Abidjan. Il s’intitule « les Sauteurs ». A dire vrai, le film émeut et plonge dans les méandres de l’histoire tumultueuse de l’Afrique. Le film dure environ 80 minutes. Il retrace le parcours certes difficile, mais humain d’un migrant ivoirien qui tente le passage de la barrière du Maroc à l’Espagne.

Au visionnage du film, on se surprend, à plusieurs reprises, à lâcher de grands et francs rires sur le drame qui se joue. On rit des expressions et de la bonne humeur du fier cinéaste ivoirien d’occasion – Aboubakar Sidibé. On rit et l’on applaudit presque lorsque le groupe de migrants, dont il fait partir, érige son « Union Africaine ». En fait, dans le film, les migrants se sont organisés par pays de provenance. Et, chaque pays désigne son chef d’Etat et ses ministres. Les autres doivent leurs obéir.

Aussi, pour se remotiver dans leur ambition commune d’atteindre l’Europe, ces migrants ne manquent pas d’initiatives. Ils organisent des matchs de football, des cultes de prières, des mini concerts, etc. Mais également, ils se préparent à toutes les éventualités. S’ils étaient contraints au retour au pays, ils prévoient régler le compte du marabout qui leur a certifié que la route vers l’Europe serait facile. Ou plus grave, ils prévoient faire un coup d’Etat.

La migration clandestine, comme une déportation…

A l’analyse, le film interpelle principalement les autorités politiques nationales et internationales. Cependant, il n’oublie pas de sonner l’alarme générale. En effet, par différentes scènes filmées, nous sommes tous appelés à la prise de conscience de la tragédie de l’immigration clandestine.

Tout d’abord, les images des caméras nocturnes, certainement empruntées à la police marocaine, nous montre des scènes ahurissantes. On aperçoit des milliers et des milliers de migrants africains marchant en file indienne en direction de la frontière avec l’Espagne. Ensuite, dans d’autres images capturées par notre cinéaste occasionnel, on remarque le génie créateur africain. Les migrants, arrivés au pied de la barrière de grillage de plusieurs mètres de hauteurs, font preuve d’une incroyable ingéniosité. Ils inventent, sur le tas, des outils pratiques pour leur permettre de réaliser l’escalade.

Inutile de vous dire que devant ces images, j’ai eu gros sur le cœur. J’ai pensé à la traite négrière d’antan, où l’on emmenait de force nos ancêtres. Enchaînés, maltraités, humiliés, ils étaient exportés comme du bétail. Pour quoi faire ? Pour accomplir des travaux abjects, dégradants et humiliants. Ceci, souventefois, avec la complicité de certains frères africains. On a retiré à l’Afrique ses bras valides, mais aussi ses grands esprits.

Aujourd’hui, face à ces horribles images, j’ai la même sensation de révolte que Claudy Siar. Je vois des frères africains marcher en direction de ce continent que voulait fuir Aimé Césaire. Ils sont enchaînés par l’illusion mentale qu’ailleurs est meilleur que chez soi. Je les vois, comme du bétail des prairies d’Afrique, foncer droit dans l’eau tueuse. Une eau infestée de toutes sortes de prédateurs haineux en quête de chairs dorées. Et bientôt, on les voit maltraités, vendus, et déçus de se rendre à l’évidence d’une chose. Le malheur frappe aussi tous les centimètres carrés du globe.

Critiques et propositions…

Franchement, j’ai honte de l’élite africaine gourmande et aux discours vides d’humanité réelle. Une élite qui joue le jeu de la déportation de l’intelligentsia africaine. Par des guerres et des coups d’état idiots, par la mal gouvernance, le népotisme, etc. elle joue le jeu de l’immigration clandestine. Et un peu comme pour le SIDA à ses débuts, cette élite embourgeoisée rejette toute la responsabilité aux seuls migrants qu’elle stigmatise. Cela, sans jamais se remettre en cause.

De mon avis, l’une des solutions à la crise migratoire africaine, et ivoirienne en particulier, doit être d’ordre politique et économique. Un climat politique serein et paisible adossé à la démocratie vraie coupera toute ambition d’exil volontaire. Aussi la gestion responsable des deniers publics, la promotion de la culture africaine et des compétences locales fermera bon nombre d’yeux envieux. Ainsi, l’africain prendra davantage conscience que l’eldorado c’est vraiment chez soi. Et, sûrement, refuserions nous de répéter d’une certaine manière la désolante traite négrière.

In fine…

En somme, j’avoue que j’ai eu du mal à conclure mon propos. Car, j’ai mal pour l’Afrique. Je me demande encore ce qu’il reste du fier mouvement de la négritude. Je me demande ce qu’aurait pensé Léopold Sédar Senghor. Peut-être qu’il m’aurait répété son cri de désarroi : « L’émotion est nègre, la raison est hellène ». Et sûrement que fébrilement, je lui aurais rétorqué que : « l’émotion est animale, la raison est seulement humaine. Nous, africains, sommes humains ! ».


A un excellent documentaire, je préfère de loin ce cri perçant d’une femme ré-vol-tée !

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